Le Berger Blanc Suisse chien guide d’aveugle

Guider une personne aveugle d’un point à un autre en toute sécurité et confort est une tâche bien difficile. C’est peut être le travail le plus exigeant que l’homme demande à l’animal de faire. Définir comment le chien guide apprend son travail relève souvent des théories d’éducation, voir notre article sur l’éducation du berger blanc suisse. Pourtant, il y a bien plus que cela ; il y a une action cognitive de la part du chien. Car avant tout, le chien guide est un preneur de décisions.

Le travail du chien guide d’aveugle

Le chien va devoir gérer :

  • des obstacles statiques (poteaux, arbres…),
  • des obstacles temporaires (échafaudages, excavations, travaux, tranchées…),
  • des obstacles dynamiques (poussettes, passants…).

Il devra le faire dans des conditions variées allant de la rue calme aux grands boulevards ou aux zones piétonnes.
Il devra trouver des choses spécifiques (escaliers, passages protégés, portes, arrêts de bus…).
En outre il devra s’adapter aux conditions changeantes :

  • dans l’équipe (humeur, maladie, âge, présence d’enfants, d’un sac…),
  • en dehors de l’équipe (neige, vent, brouillard, pluie, obscurité…).

Il devra supporter des distractions :

  • directes (caresses, nourriture…)
  • indirectes (odeurs, bruits, autres chiens qui suivent …)

Il subit un conflit dominance/soumission :

Savoir quand prendre l’initiative et quand être obéissant est un vrai dilemme pour le chien guide. Il est essentiel que le chien prenne confiance en lui pour prendre son maître « en charge » lorsque c’est nécessaire et pour se faire il doit parfois désobéir… tout en restant obéissant dans d’autres circonstances.

Il doit faire face à des choix multiples et prendre une décision difficile :

Il y a un certain nombre de situations dans lesquels choisir que faire est complexe, les possibilités peuvent être limitées, cachées, peu évidentes ou aller à l’encontre des règles habituelles.

A quel point ce talent pour guider peut être développé dépend de quatre facteurs :

  • la capacité innée du chien à devenir un décideur, à résoudre des difficultés associées à son travail de guidage
  • la qualité de sa socialisation
  • la nature des techniques d’apprentissage reçues
  • la capacité du maître de chien guide de continuer à permettre à son chien de prendre des décisions

Majoritairement, c’est le renforcement positif qui est utilisé au cours de la formation. En effet, une approche positive offrira plus d’opportunités au chien de développer une approche cognitive de son travail. Plus la formation s’éloigne de la méthode « carotte et bâton », plus le niveau de distractions dues aux interférences extérieures diverses diminue. Ainsi, le bénéfice d’un programme suivant cette orientation est double : d’une part beaucoup des effets négatifs à court et à long terme de l’usage et l’abus de la punition sont évités ; d’autre part nous avons ainsi plus de chances de produire des chiens confiants, efficaces et volontaires au travail.

Néanmoins, le conditionnement ne suffit pas à faire un chien guide. L’objectif de la formation n’est pas de lui apprendre des actions mécaniques mais de réfléchir sur son environnement et trouver lui même les réponses appropriées. Prenons l’exemple de l’arrêt au trottoir, en apparence simple. Dans la réalité, les trottoirs sont maintenant souvent plats ; le stimulus « bordure » a dans la pratique disparu ; c’est au chien de différencier les cas où il faut s’arrêter.

Somme toute, ce qui est demandé à ce chien, ce n’est pas de savoir exécuter ce travail particulier, mais de le comprendre. C’est probablement la tâche la plus complexe que l’homme demande à un chien. Bien sur nous appliquons des techniques de conditionnement, bien sur nous nous servons de la tendance instinctive qu’a le chien de protéger son maître. Mais surtout nous essayons de lui communiquer une compréhension globale de la tâche qui lui incombe. Lorsque le chien a compris cette tâche, il peut alors commencer à corriger lui même ses erreurs, ce qui sera précieux pour son futur maître. Ce modèle de formation tend donc à développer le travail de guidage comme une entité globale et non la somme de diverses techniques apprises. Dans la pratique, cela signifie que les différentes tâches de sa fonction seront étudiées telles qu’elles se présenteront naturellement lors des sorties. Cette approche « en réel » de la formation offre au chien l’opportunité d’apprécier le travail dans sa globalité et de développer son sens de l’anticipation, de l’initiative et de l’organisation. De plus, dès le départ le chien peut être encouragé à réfléchir. Réfléchir et solutionner des problèmes sont des comportements difficiles à développer au travers d’un programme d’entraînement rigide, séquentiel et basé sur un strict conditionnement.

Par ailleurs, plus un chien est conditionné, plus il est susceptible de développer de l’anxiété (même zone de neurones) et le travail du chien guide est déjà assez stressant. D’autre part, adaptabilité et conditionnement strict ne vont pas de paire ; or l’adaptabilité est la qualité première que l’on requiert de ces chiens : adaptabilité aux maîtres, aux changements de lieux…

A l’origine, les chiens guides étaient majoritairement des bergers allemands, reconnus de longue date pour leurs capacités de travail au service de l’homme. Le conflit mondial du milieu du 20ème siècle mobilisa cette race pour les troupes et la croix rouge. Les Anglais, pionniers du chien guide moderne, se tournèrent alors vers les chiens qui restaient et c’est ainsi que le labrador endossa ce rôle.  Depuis, cette race a envahi la France, portée par la publicité en tout genre. De fait, le « lab » fait un bon chien guide, volontaire, joyeux et très bien accepté du public. Par contre il reste cabochard et a une tendance à la gourmandise telle que cela en devient un défaut. Son succès auprès du public peut aussi devenir handicapant (on n’hésite pas à jeter un enfant devant le chien puisque celui la est garanti gentil par la publicité…). Il y a donc une demande émergente au sein des utilisateurs de chiens guides pour l’utilisation d’autres races. Quelques bergers allemands travaillent ainsi, mais il faut absolument que leur maître ne soit pas une personne inquiète ou angoissée faute de quoi le tempérament protecteur voire gardien prend le pas sur celui de guide. Par ailleurs il a toujours une image négative auprès d’une partie du public. D’autres races se sont prêtées au jeu. Le caniche royal qui est peut être un peu trop léger et qui s’il ne perd pas de poils suppose néanmoins des frais de toilettage réguliers ; divers chiens de chasse tels que l’airedale terrier, le drathar, l’épagneul français parmi lesquels quelques individus ont fait de bons chiens guides ; le bouvier bernois qui a l’inconvénient de son encombrement…

En réalité chaque équipe « aveugle – chien » est unique et le chien de l’un ne serait peut être pas le bon chien de l’autre… Le labrador garde pour lui sa grande capacité d’adaptation qui lui permet de correspondre au plus grand nombre. Pas meilleur mais peut être plus polyvalent. Toutefois pour ceux qui veulent se démarquer, qui recherchent le chien différent, les écoles continuent à faire des essais.

C’est ainsi qu’en 1997 Ninja, alors berger blanc américain, nous a rejoint afin de suivre la formation. Très réceptif et rapidement avide de prendre lui même les décisions, il a survolé la formation et est entré en activité très tôt à l’âge de treize mois. Surprenant dans ses choix de guidage –il trouvait des solutions que je n’avais même pas envisagées !- il était déjà capable de gérer les situations les plus compliquées.  C’est un des rares chiens à m’avoir fait éclater de rire par le culot qu’il avait dans son travail. Une anecdote lors de la visite de ses éleveurs (M. et Mme Lavoine) qui le suivait alors qu’il me guidait. Le trottoir était encombré par deux passants se faisant face et discutant. A gauche le mur et à droite un poteau. L’application de sa formation aurait voulu soit qu’il s’arrête et attende que le passage se libère, soit qu’il propose un contournement par la chaussée (fastidieux, il faut s’arrêter à la descente et à la remontée). Monsieur Ninja lui m’entraîne droit sur les passants, sans faiblir l’allure (plutôt rapide vu la taille du chien) et  en semant le doute dans l’esprit des éleveurs qui ne le voient pas amorcer de tentative d’évitement.  Au dernier moment le chien engage la tête entre les deux passants et donne un grand coup de museau sur la cuisse de l’un d’eux. Surpris il se retourne et s’écarte. Le chien reprend alors son chemin bien dégagé. Pas très orthodoxe mais que lui reprocher ? Je ne me suis cogné dans personne, je n’ai pas perdu de temps à analyser la situation pour donner le bon ordre au chien et je n’ai pas été en danger en passant par la chaussée.

Pour résumer disons donc que le berger blanc suisse est un chien qui aime travailler ; qui aime prendre des décisions dans son travail et qui prend les bonnes décisions pour peu que l’on ait pris la peine de lui faire comprendre l’objectif final de ce travail. A l’opposé, les exercices mécanisés et répétitifs ne l’intéressent guère. Son image en tant que chien guide est plutôt positive (le blanc n’est il pas symbole de pureté ?) et sa méfiance envers les étrangers lui permet de ne pas être distrait par les sollicitations de la foule. Toutefois, il n’est pas la panacée. Sa taille et son dynamisme supposent un maître actif. Par ailleurs les petits trajets répétitifs ne sont pas sa tasse de thé ; il aspire à du travail compliqué, à de nouveaux challenges. Enfin, s’il supporte bien l’autorité (le chien guide doit savoir désobéir à son maître qui l’engueule croyant à une bêtise alors que le chien a raison), il a néanmoins une sensibilité et une finesse qui rendent la prise en charge du chiot par les familles d’accueil délicate. Une dernière anecdote : Ninja à son arrivée à Toulouse avait oublié ses Ardennes natales et pluvieuses ; après un an de formation au soleil il fut bien surpris par le climat toulousain. A la première grosse averse  il prit l’initiative de présenter la porte la plus proche… Aujourd’hui âgé de sept ans et demi, il continue son job. Depuis Owen l’a suivi avec les mêmes qualités et plus récemment Sam est entré en activité avec toujours cette incroyable justesse de décision et précision de guidage accompagnés d’un calme olympien à la maison et d’un dynamisme fantastique à l’extérieur. Peut être pas le plus polyvalent des chiens guides (concernant le « mariage » avec le maître)… peut être bien le meilleur des chiens guides si le maître le laisse faire…

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